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Libertés contre barbarie! –Par: Hiam Mouannès

Paris 13 novembre 2015, Liban 13 avril 1975

Mêmes crimes contre l’humanité, même combat pour les libertés

 Article par: Hiam Mouannès

Ce triste jour du 13 novembre 2015, la France a une nouvelle fois été atteinte dans son cœur et son âme. Les larmes de nos mères, pères, enfants et vieillards coulent de chagrin, ici, chez nous, à Paris, capitale du pays des Droits de l'homme.

Ce triste jour du 13 avril 1975, le Liban avait aussi été atteint dans son cœur et son âme. Les larmes de nos mères, pères, enfants et vieillards coulèrent de chagrin, là-bas, chez nous, à Beyrouth, capitale d’une terre d’asile et terre de la plus ancienne école de droit au monde, Berytos (détruite par un violent séisme en 552).

Il y a quarante ans… le 13 avril 1975, il y a une éternité… là-bas à Beyrouth.

Il y a quelques jours… le 13 novembre 2015, c’était aujourd’hui… ici, à Paris.

La même horreur, la même colère, la même consternation, les mêmes larmes. Au Liban la main du Mal sévit encore. Pourvu que la France (jadis notre mère-Patrie) puisse rapidement l’éradiquer, pour elle et pour les autres.

Il y a juste quarante ans, les ennemis des libertés avait en effet poussé le Liban dans les enfers des guerres. Plus aucun anniversaire de l’Indépendance du Liban (le 22 novembre 1943) n’avait plus eu le même sens.

Le Liban, pays des libertés, pays des civilisations, carrefour du monde, Suisse du Proche- Orient, lien entre l’Orient et l’Occident, « message de paix », était devenu le souffre-douleur des tensions locales, régionales et internationales. Le monde faisait ses guerres au Liban. Les Grandes puissances réglaient leurs comptes au Liban. Les voisins irrédentistes s’envoyaient mutuellement leurs bombes sur le Liban. Les gouvernants libanais s’auto renouvelaient leur mandat en toute impunité. Les présidents de la République se faisaient élire par les voisins les plus musclés. Béchir Gémayel, fraîchement élu président de la République, est assassiné le 14 septembre 1982 parce qu’il résumait en lui seul l’espoir de tout le peuple libanais et parce qu’il était décidé de recouvrir la pleine indépendance et l’intégrale souveraineté du Liban.

Mais on appelait cette guerre : « civil » ! S’il est vrai que l’ennemi était à (de) l’intérieur et qu’il n’y avait pas une armée étrangère sur le sol libanais, cette guerre n’avait de civil que le nom. Puis, les motifs de la guerre sur notre sol changeait de visage tous les jours mais c’était toujours « le même marteau qui frappait » pour réaliser la même finalité : détruire le Liban et anéantir ses valeurs et ses symboles.

Hier, le monde ne pouvait pas deviner les raisons pour lesquelles le citoyen Libanais observait (et observe toujours) attentivement l’actualité internationale. En fait, au Liban on sait que dès que les tensions au niveau régional et/ou international montaient (irako-iraniennes, arabo-israéliennes, syro-américaines, turco-iraniennes, israélo-arabo-américaines, irano-syro-américaines, etc.), ou dès qu’un évènement d’envergure internationale et d’opinion se produisait (la chute du mur de Berlin en 1989 ou sans comparaison, l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein en 1990), le Liban allait en prendre un nouveau coup ou allait être sacrifié au nom du realpolitik (par exemple, l’alliance de la Syrie avec l’Occident pour libérer le Koweït s’est faite au prix de la pax syriana au Liban) !

Et le Liban est toujours miraculeusement debout. Sa culture millénaire, son art du dialogue des civilisations, son multiculturalisme et même son multi-confessionnalisme se dressaient comme un bouclier de résistance. Debout ? Encore debout ? Nos ennemis se sont alors attelés à l’anéantir par des armes de destruction nouvelles : vacance présidentielle (depuis mai 2014 !) ; paralysie institutionnelle ; océan d’ordures ménagères partout sur tous les trottoirs de presque toutes les villes de Beyrouth, etc. Ils ont seulement oublié que le Liban est soixante-dix fois cité dans la Bible, qu’il est protégé des Dieux et que son cœur bat au rythme de nos cœurs et du drapeau rouge, blanc, rouge flanqué de son Cèdre vert, fier et immortel. En effet, les régions du Moyen-Orient tombent les unes après les autres et le Liban (10 452 km2, 4 millions d’habitants, plus de 200 000 réfugiés Palestiniens et plus de 2 millions de réfugiés Syriens) est toujours là pour recevoir les sommets de la francophonie, des Salons du Livre, des étudiants dans les meilleures universités (Saint Joseph, La Sagesse, Saint-Esprit de Kaslik, l’université libanaise, etc.). Les Libanais fidèles à leur culture, parlent et apprennent toujours plusieurs langues et persévèrent dans leur labeur et leur combat pour les libertés… Comme s’ils portaient le flambeau de l’humanité entière.

Or, le monde a trop longtemps considéré que la guerre au Liban n’était plus lisible (effectivement), qu’elle était devenue récurrente, qu’il ne valait plus la peine d’y fixer les projecteurs pour s’y intéresser et que de toute façon personne n’y comprenait plus rien. Même les deux attentats kamikazes perpétrés le 12 novembre 2015 à Beyrouth allaient presque passer inaperçus s’il n’y avait pas eu cette terrible réplique le lendemain même à Paris.

Il y a juste quelques jours, le 13 novembre 2015, les mêmes ennemis se sont en effet abattus sur Paris.

Leurs crimes macabres avaient commencé avant. Oui, bien sûr. Il y a eu le 11 septembre 2001 (New York), le 11 mars 2004 (Madrid), le 11 mars 2012 (Montauban et Toulouse), les 7, 8 et 9 janvier 2015 (Charlie-Hebdo et Hyper Cacher), février 2015 (Mossoul et Palmyre), le 2 avril 2015 (Kenya), le 12 novembre 2015 (Beyrouth), le 20 novembre 2015 (Bamako). Mais le 13 novembre 2015, 40 ans après le 13 avril 1975, les armées du Mal ont sans honte ni humanité frappé la jeunesse insouciante sur une terrasse de café, pendant un match de football et dans une salle de spectacle, pour dire aux peuples libres qu’elles sont là pour nous anéantir, exactement ce qu’elles ont dit à la jeunesse du Liban il y a quarante ans.

Cette guerre globale, d’une monstruosité nouvelle, éclabousse tout le monde libre, si passif auparavant et si préoccupé par ses intérêts politiques, économiques et d’autres vanités électoralistes. Brusquement, en France, le drapeau redevient une fierté, on le brandit partout comme une arme contre l’ennemi alors que l’on ne voyait ses trois couleurs que pendant les grandes manifestations sportives ou le jour de la proclamation des résultats d’une élection présidentielle. Brusquement, la Marseillaise est de nouveau entonné en chœur, partout, même dans les écoles et à l’initiative même des écoliers, alors qu’hier certains le trouvaient suranné et proposaient de le remplacer, faute de modifier ses paroles, par une « chanson douce » !

Brusquement, décontenancés, les peuples libres se réveillent en effet. On redécouvre ce que veut dire mourir pour les libertés. On se rend compte que les acquis de la démocratie sont toujours fragiles. On redécouvre que la préservation de nos valeurs a un prix : avoir une armée forte et aguerrie, une police et des citoyens emplis d’une volonté indestructible de protéger une liberté aussi simple que celle de pouvoir boire un verre sur la terrasse d’un café.

Aujourd’hui, Paris (c’est-à-dire le monde entier) et le Liban pleurent. Paris le 13 novembre 2015, comme le Liban le 13 avril 1975, se réveille avec ce terrible sentiment d’être en guerre. Civil ? Non, ce cauchemar n’a pas ce visage si terrible, diabolique et dramatique. Mais ce sont les civils innocents qui en sont les premières victimes, comme l’étaient et le sont toujours les civils Libanais sur leur terre.

Mais la barbarie ne gagnera pas. Nous sommes tous aujourd’hui meurtris. Mais nous sommes tous aujourd’hui unis pour anéantir ce nouveau genre de totalitarisme criminel, frappant dans le dos sans limite, sans conscience, sans visage, sans humanité.

Nos valeurs (liberté, égalité, fraternité, laïcité, dignité de la personne humaine) ne seront pas aliénées et le flambeau jamais éteint.

Seulement voilà, aujourd’hui, ce n’est plus hier. Aujourd’hui, c’est demain, et il est entre nos mains. Nous sommes tous responsables. Nous sommes tous dans la résistance. La France (comme le Liban) c’est chacun d’entre nous d’où que l’on vient et qui que l’on soit. Chacun écrira avec tous un chapitre de notre Histoire. C’est notre dette aux victimes tombées le 13 novembre 2015 à Paris, c’est notre dette aux victimes tombées au Liban depuis le 13 avril 1975, c’est notre dette à l’égard des victimes de tous les crimes de guerre commis par les barbares partout dans le monde.

Vive la France. Vive le Liban.

*Hiam Mouannès:

Maître de conférences, HDR, à l’Université Toulouse 1 Capitole

Institut Maurice Hauriou

Vice-présidente de l’université

 

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